La France est-elle différente?

 

Diplomatie, production culturellement, traditions culinaires, : tant de thème plus ou moins sérieux qui agitent les débats de nos contemporains et qui font echo à la question de la différence, voire d’une « exception française ».

Avant tout, le terme de différence revoit nécessairement à un modèle, à une norme qu’on admettra être le reste du « monde occidental » dont la France partage largement le patrimoine historico-politique et culturel.

En ce sens, l’idée n’est pas fausse : effectivement la France possède non seulement des traits spécifiques hérités le plus souvent de son historie mais il y existe également une conscience de cette singularité.

Mais la polysémie du terme « modèle » déjà évoué invite à rechercher dans quel mesure la France propose des valeurs, un projet, et des institutions différentes et exemplaires.

 

  On s’efforcera de remarquer et d’expliquer, la nature, la nécessité et la fonction de « ses variations sur le même thème » que ses voisins pour une nation comme la France.

 

I. Les formes de la singularité française

 

Pour les défenseurs de la différence française, celle-ci est avant tout une affaire d’idéologie (non au sens marxien du terme mais simplement comme un corpus de valeurs et d’idées fondamentales).L’Etat républicain incarnant et étant sensé défendre des parti-pris « originaux » qui le distingue des autres états auquel il est implicitement comparé.

 

A. Une idéologie et un mythe identitaire

 

La France nation ouverte :Contrairement à la nation allemande telle qu’elle est définie par Herder, Mommsen ou Fichte, la nation française est une nation ouverte. J’entends par là le fait qu’elle incarne un « vouloir-vivre-ensemble » et non un « devoir- vivre- ensemble ». Je cite Fustel : « ce qui distingue la nation (française), ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’affections et d’espérances ».

On en trouve la preuve dans les modes d’accès à la nationalité de chaque côté du Rhin : jus solis contre jus sanguinis. Ainsi elle a une tendance naturelle au cosmopolitisme que l’on retrouvera plus tard.

 

Une nation unitaire : Elle se distingue de a nation américaine (elle aussi nation ouverte) par son exigence d’unité. La puissance publique refusant traditionnellement de reconnaître, en son sein, des droits particuliers à des fractions, sur des bases territoriales, religieuses ou ethniques.

Ce jacobinisme marque de façon tenace les idées politiques françaises comme en témoigne Chevènement quand il démissionne en invoquant le principe constitutionnel d’unité et d’indivisibilité de la République.

La nation française n’est pas dans la conception républicaine une fédération de groupes, mais un ensemble constitué par l’adhésion d’individus libres (cf. la définition de la république de Sieyès).

 

La liberté à la française : Cette liberté n’est pas conçue comme l’affranchissement de la contrainte de l’état (ce qui est le cas dans la tradition anglo-saxonne qui naît avec Hobbes) mais comme une liberté garantie par l’état contre les empiétements des ennemis de la liberté :les notables, les élites traditionnelles, « les féodalités ».  Cette distinction particulière entre sphère publique et sphère privée organise les            rapports sociaux.

 

C’est l’ensemble de ses traits, qui font système, et non ces principes pris un à un qui définissent l’idéologie française.

On ne peut comprendre l’intérêt de l’idéologie sans prendre en compte son aspect dynamique, c’est à dire sa capacité à influencer les pratique sociale à travers un processus de (re)construction du réel qu’elle induit.

 Ces principes ont vocation à assurer la cohésion sociale de la nation. En effet, plus que des valeurs, ce sont  des représentations collectives à fonction identificatrice pour les membres de la nation. Elles sont si nécessaire que leur acceptation, au moins tacite, est la condition sine qua non à l’intégration à la communauté nationale sans laquelle toute distinction, toute différence et donc toute identité n’est pas concevable. C’est pourquoi, bien qu’elles soit le fruit d’une construction, elles sont quasi sacralisées, inscrites comme lois fondamentales dans la Constitution.

L’affirmation d’une différence française est donc le produit d’une représentation idéalisée autour de laquelle la nation devient identifiable.

 

B. Un projet : une « communauté de rêves »(Malraux)

 

Une certaine idée de la France :Cette idéologie est plus qu’un nationalisme, qui valorise la France, pensée non comme singulière mais comme exceptionnelle. La France est une personne, « une princesse de légende » pour reprendre De Gaulle. Elle est comme telle appelée à un destin exceptionnel : »elle n’est elle même que dans la grandeur »(D.G.). Cette « grandeur » c’est longtemps confondue avec la puissance comme en témoigne la politique extérieure du même De Gaulle et son héritage. On peut noter que dans ce discours, le caractère identitaire de la différence française semble légitimer non seulement son indépendance mais également un rang dans le concert des nations. On comprend mieux dans ce cas à quel point « la voix » de la France (aidée par son porte-voix militaire cf. bombe H ou porte-avions) s’exerce a peser sur le sort du monde(bien plus que l’Allemagne ou l’Espagne ).

 

La France modèle :Ce n’est cependant pas seulement la gloire passée de ses armes qui fondent sa prétention à la grandeur, mais aussi la richesse de sa culture et de sa pensée. Elle pour beaucoup de républicains, la mère des libertés, la patrie qui a offert au monde des principes nouveaux et universels. Les rédacteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 89 en étaient fort conscients, celle-ci étant pensée comme un exemple donné au monde. Au contraire, la déclaration d’indépendance ne fait que définir les droits du citoyen américain sans prétention à l’universalité. Même si elle  a souvent perdu les moyens de les faire valoir, la France ne manque jamais de faire entendre sa voix concernant ces droits sur la scène internationale . Cette idée messianique structure la politique extérieure de la France dans la rhétorique comme dans l’action. On peut à cet égard penser à la dimension  « civilisatrice » et « intégratrice » de la politique coloniale française, quasi absente du cas britannique. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve ici Ferry, il s’agit de « faire de  bons français » tant outre-mer que sur les bancs des hussards noirs de la république. C’est le même principe de faire de la France un exemple pour les peuples qui justifie la position « humanitaire » de la France vis-à-vis de l’Irak.

 

 

C. Des institutions : matérialiser et pérenniser la différence

 Comme le souligne P.Braud, ce système de représentation est un guide pour l’action tant des décideurs politiques que des citoyens. Les instances administratives et scolaires sont les instruments privilégiés de l’expression concrète et de la reproduction de cette différence française.

 

Le centralisme Ainsi le discours sur l’unité de la nation fonde pour partie une pratique fortement centralisatrice. L’état français a durant très longtemps refusé toute autonomie aux régions voire aux communes : Paris n’a eu son premier maire qu’en 1976.

 

L’Etat instituteur du social(Rosenvallon) :L’état est depuis très longtemps le grand ordonnateur de l’économie et des rapports sociaux. Les transformations du rapport social, par exemple, sont pour l’essentiel le produit de textes de lois ou de grandes négociations chapeautées par l’état et non de négociations entre représentants patronaux et salariaux. Dans l’actualité on pourrait citer les 35heures ainsi que le Plan ou le plan d’aide aux entreprises de Raffarin  pour illustrer cette tendance interventionniste lourde.

 

L’Etat laïc :Enfin, depuis 1905, l’Etat républicain est laïc :il ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. Il se veut absolument neutre en matière religieuse, il refuse donc de favoriser aucune confession et considère la religion comme une affaire strictement privée. Ce qui implique que les représentants des églises ne soient pas reconnus comme des acteurs légitimes de la vie politique.

 

L’Ecole Républicaine :Laïque, obligatoire et gratuite l’école à la française est à la fois une incarnation des principes identitaires déjà évoqués (cf. collège unique, programmes et examens nationaux, promotion de l’élitisme républicain) et (comme partout) un formidable instrument de socialisation et donc de reproduction de la différence française. Pensons simplement à l’enjeu que pouvait constituer la définition officielle du programme des manuels d’instruction civique ou d’histoire(ex : E.Lavisse). La vision développée de la Révolution française, valorisant ses grands principes et euphémisant son bellicisme ou sa violence, a contribué efficacement à enraciner le nouveau régime de la IIIè République. Sa nécessité ne se discute pas tant il peut-être long de rallier la nation des pans entiers de la société autours  d’un nouveau paradigme. 

 

On trouve dans ces institutions l’idée que la nation, incarnée par l’état ne saurait de parties aux intérêts éventuellement antagonistes.

 

II. La remise en cause

La singularité française s’incarne donc en un état républicain garant de l’intérêt général et  de la grandeur de la nation. La crainte de sa dissolution, fort présente à droite(Pasqua), comme à gauche(Chevènement), s’explique mieux dans la mesure où le second xx siècle a porté de rudes coups  à l’état ainsi conçu comme à la grandeur de la France.

 

A] Le deuil de la puissance, bras armé de la différence

 

L’étrange défaite :La France de 1918 se considère, et est considérée, comme une grande puissance militaire. Ce prestige militaire ne survie pas à la seconde guerre mondiale et au spectacle d’une armée mise à genoux en quelques jours(il suffit d’évoquer la débâcle ou les prisonniers).

Ce désastre n’est que le premier d’une série d’humiliations militaires. Après Suez la France se privée d’une véritable autonomie diplomatique à l’échelle mondiale et des moyens militaire mais aussi moraux(la France a parfois du bien mal à apparaître comme la défenseuse de la liberté des peuples)  d’imposer son modèle(cf. :décolonisation) .

 

La France, puissance moyenne :Le souvenir de ces défaites alimentent de moroses méditations sur le déclin. Néanmoins si la France n’est incontestablement plus une grande puissance(Yalta n’est pas Versailles), elle demeure un des rares pays capable de faire entendre une voix discordante grâce à son siège permanent à l’ONU et à la composition du Conseil de sécurité qui le lui permet.

 

B] Les institutions menacées     

  Pour certains, la France n’est pas seulement une puissance déchue, elle est un pays menacé de perdre son indépendance et ses institutions, renonçant de fait à sa différence, à son propre modèle(cf. :mouvements souverainistes).

 

La dévolution à l’Europe :La construction européenne s’accompagne en effet de l’abandon à l’Europe de prérogatives régaliennes comme la monnaie. Une des preuve du caractère douloureux de ce processus est l’échec de la CED en1954.

 

Le grignotage de l’Etat :La puissance de l’Etat central, menacé au sommet par l’Europe est de plus en plus contesté par le bas par l’extension croissante des prérogatives des régions. Ce phénomène a été lancé par la loi Deferre de 1982, marquant une rupture avec la centralisation traditionnelle en transférant de larges prérogatives aux élus locaux de l’exécutif. Le Conseil d’Etat s’est d’ailleurs opposé à l’idée d’une « république décentralisée » à propos de la seconde phase de cette décentralisation.

 

La fin de l’Etat modernisateur :L’état central a de plus abandonné certaines de ses fonctions. On l’a vu l’état a longtemps orienté le développement du pays, notamment grâce à un large secteur étatisé. Il a cependant vu ses moyens d’agir se réduire depuis une vingtaine d’années :privatisations, quasi abandon de la planification(VGE). On se souvient du discours de Jospin lors des vagues de licenciements annonçant que l’état ne peut pas intervenir directement dans la vie des entreprises.

C] La colonisation culturelle

 

Mode de vie : L’antiaméricanisme est fréquent et anciens chez les intellectuels français(cf. :dès 1920, Le cancer américain), qui déplorent depuis près d’un siècle la pénétration des objets et des manière d’agir made in USA, y voyant l’intrusion d’une civilisation « barbare », menaçant les fondements de la culture française(cf. : loi Toubon ou dénonciation de la mal-bouffe).

 

Productions culturelles :Le débat est particulièrement vif dans le domaine culturel car de fait le marché des biens culturels est actuellement dominé par les américains alors qu’il l’a longtemps été par la France. D’autant plus que cela peut également être interprété comme une défaite politique dans la mesure où l ‘état intervient directement depuis fort longtemps(Académie sous Richelieu, Comédie française sous LouisXIV)dans le domaine culturel afin de défendre et de promouvoir une culture nationale. On ne s’étonnera donc pas de la réaction immédiate du Président de la république aux propos annonçant la mort de « l’exception culturelle française ».

Plus concrètement tant face à l’UE qu’à l’OMC, la France (largement soutenue populairement) refuse d’assimiler les biens culturels à des biens commerciaux classiques et donc de les associer aux traités de libre échange(pour continuer à soutenir les productions nationales, invoquant l’exception culturelle). Ce dispositif permet à la France de « rester exceptionnelle » et d’attirer institutions(UNESCO) et acteurs de la vie culturelle(le réalisateur scandinave de l’homme sans passé en à bénéficié).

 

La défaite idéologique des républicains :Vu aux travers  des yeux de ceux qui se nomment eux-même républicains, jacobins ou souverainistes, l’histoire contemporaine peut donc apparaître comme une succession de défaites, militaires , politiques et culturelles mais également idéologiques. En effet certains des fondements de l’idéologie républicaine semblent menacés. La période des années 1970 a vu fleurir le thème du droit à la différence dans la mouvance socialiste avant d’être instrumentalisé par l’extrème-droite. L’école républicaine a ainsi ouvert des cours de langue maternelle pour enfant de migrants alors que l’école « républicaine » a vocation à produire des Français et des républicains en offrant l'accès à une langue et à un culture commune  et non à préserver des particularismes.

 

La France de la fin du XX siècle ne peut plus prétendre à la puissance, n’a après 1945 guère servi de modèle(ce qui a été le cas dans les années 1920,pour la rédaction des constitutions des états nés de Versailles), et l’état républicain voit ses missions et ses principes contestés. Pour savoir s’il faut parler de déclin, de fin de la différence ou d’adaptation à des temps nouveaux on tentera de dégager les facteurs permettant de rendre compte de ces transformations.

 

3.Les facteurs

A]L’affaiblissement des bases de la puissance, moyen d’une différence

 

Démographie :L’affaiblissement de la puissance peut être relié à l’affaissement des bases matérielles de celle-ci. La France impériale qui tenait tête à l’Europe coalisée était deux fois plus peuplée que le Royaume-Uni , en1900 le Royaume-Uni dépassait largement la France. On se rappellera de Briand qui assure que la France doit souvent renoncer à faire valoir sa différence au profit d’une politique conditionnée par la natalité .

 

La force des messianismes concurrents :Le messianisme français doit de plus faire face à de rudes concurrents au XX siècle. L’URSS a été plus à même d’incarner l’élan révolutionnaire(rôle tenu par la France au XIX), et l’influence des USA est servie par leur formidable puissance économique et militaire. On peut d’ailleurs supposer que les frictions entre Paris et Washington sont souvent implicitement nourries de cette concurrence.

 

En aparté, notons que l’économie française conserve à peu près le même rang et le même poids au long du XX siècle et qu’elle ne constitue donc pas un facteur majeur de la différence française.

 

B]La construction européenne

 

Les abandons de souveraineté : L’implication de la France dans la construction européenne est ambiguë :dans le cadre de notre sujet, elle peut être comprise comme un conséquence de la perte de puissance, soit au contraire comme un moyen de faire entendre sa voix mais également comme un processus de dissolution du modèle français.

 

On peut invoquer la logique de cette construction pour tenter d’analyser ce problème.                Dans une perspective gaullienne l’union est le moyen de retrouver cette puissance perdue en étant influent au sein d’une puissance nouvelle. Il s’agit d’abandonner une puissance  formelle(ex :la frappe de la monnaie), la France n’ayant plus les moyens d’une politique monétaire autonome, au profit d’une participation à une puissance réelle.

 

La mise aux normes européennes : L’adhésion à l’Europe a d’autres conséquences que la perte de quelques attributs de la souveraineté. Elle suppose la reconnaissance d’une autre source de droit, supérieur même au parlement(très valorisé dans l’idéologie républicaine)qui peut amené à abandonner des pratiques ancrées dans l’histoire française(cf. :principe de subsidiarité) d’autant plus que la légitimité du pouvoir législatif et réglementaire européen est faible au sein de la population.

 

C] La convergence des sociétés européennes

 La construction européenne s’est accompagnée d’une convergence des sociétés (niveau de vie, répartition de la population active), qui contribue elle aussi à gommer la spécificité française.

 

L’Etat moderne naît d’une configuration sociale spécifique :En effet sa genèse n’est pas une pure construction idéologique et porte la marque d’un contexte sociologique. La défiance à l’égard des groupes intermédiaires, contrariant le face à face de l’individu et de l’état s’explique par le fait que tant lors de la Révolution que lors de l’établissement de la III république, les hommes au pouvoir n’ avaient pas à composer avec des corps intermédiaire puissants(faiblesse du syndicalisme français par rapport à l’Allemagne ou à l’Angleterre), soit car les élites susceptible de jouer ce rôle étaient dans une large mesure hostiles(clergé, notable ruraux).L’état se construisant alors contre eux et tâchant de réduire leur influence en y opposant le droit et l’intérêt général.                                                                                                                                                                                                          

 

De plus, l’idéologie de la troisième république, que l’on nomme aujourd’hui républicaine est une construction adaptée à un monde de petits producteurs indépendants insistant notamment sur l’égalité des chances assurée par l’école par méfiances des gros, des notables.

 

Convergence européenne :Ce sont des réalités sociales bien loin de celle de la France contemporaine, marquée par une diversification des territoires un chômage persistant et la difficulté à intégrer la nation de vastes tranche de la population :soit les maux des autres sociétés européennes. L’effacement de certains traits de la différence française peut alors se comprendre comme le produit d’une homogénéisation économique et sociale qui fait tendre ces sociétés vers des formes juridiques et politiques de plus en plus proches.

 

La question d’une différence française ne peut se réduire à une alternative brutale. On insistera sur la double dimension du problème. Première, il apparaît que la France possède des singularités indéniables, fruit du processus socio-historique de création de la France moderne et d’un cheminement politico-institutionel qui n’est pas achevé. D’autre part, la problématique de l’exception, au sens le plus fort, semble être un discours à vocation identitaire dont la crise est un enjeu plus grave puisqu’elle concerne directement la définition du corps social.

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